samedi 5 février 2011

Catalogue Collection LAM, Façade n°5.

Façade n°5 (Tout en bon ordre)


Le tableau et la critique suffisent . Trémeau, "obsédé par les crimes et les exactions des nazis ", je connais suffisament Edouard Trémeau pour savoir combien la remarque est vraie...
Bonne lecture.






Extrait du "Catalogue Collection LAM, Lille Métropole, Musée d'Art Moderne d'Art contemporain et art d'art brut. HAZAN-LAM 2010
Texte de Nicolas SULAPIERRE.


"Façade n°5 ( Tout en bon ordre)
juillet-août 1980 ; huile sur toile ; 162 x 130 cm
acquisition en 1983
inventaire : 983.1.1


Edouard Trémeau a choisi la pérennité de la figuration pour faire face à l'histoire. Il circule dans la peinture par un jeu savant des références entre elles, assumant les descendances et le métier de peindre, le travail de la matière. Franz Hals, les peintures de Goya et de Manet sont intégrées dans une façon distanciée pour échapper au romantisme et au pittoresque. Son goût le porte tout autant sur le portrait de Monsieur BertinOtages de Jean Fautrier. L'histoire à laquelle il fait allusion, dans cette série des Façades d'Ingres que sur les commencée en 1980, est celle qui constitue un tout, reliant par des analogies et des presciences les périodes entre elles. Obsédé par les crimes et les exactions des nazis, Edouard Trémeau aime montrer comment l'histoire circule d'un symbole à l'auteur, imprègne les consciences, au point qu'elles se retrouve sous différentes formes de manifestations parfois méconnaissables.
Façade n°5 sonde les multiples manifestations de l'ordre et ses significations parfois contradictoires. L'atmosphère du tableau est étrange, presque inquiétante : un motard accompagné d'un berger allemand est une allusion claire à tous le modes de répression ou d'évocation des milices urbaines et terroristes. L'évocation des Brigades Rouges est probable. La scène semble se dérouler devant la façade du monument inachevé de Rimini célébrant le tyran Malatestiano. L'ordonnancement de l'architecture n'empêche nullement l'oeuvre de basculer dans une atmosphère magique presque cauchemardesque ; en effet, à la rectitude de l'architecture néoclassique s'opposent les teintes tourmentées en camaïeux de bleu, de gris et de blanc, une ambiance nocturne insolite qui nimbe l'ensemble. Parmi les éléments clairement identifiables, certains restent étranges, comme ce drapé au second plan, qui n'a pas de justification narrative et constitue simplement une allusion à la recomposition d'une scène de peinture.
[N.S.]"

vendredi 4 février 2011

La Force Tranquille





La Force Tranquille, 1989





La Force Tranquille

Peut-être ne faudrait-il pas commenter la peinture. L’artiste aurait bien été capable à lui seul de dire par les mots ce qu'il ressent lorsqu'il peint...or par nature, il a choisi la peinture...Aussi devient-il délicat de tenter de dire à sa place, voir même sans doute prétentieux... Non , mais peut-être rendre compte de ce que je vois lorsque uni avec le l'œuvre...

Essais...

Je suis là assis devant un rhinocéros sortant de sa torpeur apparaissant derrière une roche sombre, le yin du tableau, yang est la bête...en directe opposition de la première remonte une autre roche en oblique. Les deux obliques forment alors la pointe d'un V, d'entre lesquelles sort l'animal. On dirait une naissance en quelque sorte.
Et puis oui, on n'est pas sûr que finalement la force ne surgisse pas d'un ventre de pierre, de chaire...Combien de fois à certaines heures de la journée, lorsque passe le soleil sur la toile, l’œuvre prend une carnation irréelle...Le tableau prend vie, et je me joins malgré moi comme la partie d'un Tout organique au sens de Georges E. Moore...le sol devient comme la peau d'un ventre de femme, dont les contrastes évoquent les contractions de l'accouchement.
Derrière, les blocs sur le fond préfigurent de manière quasi prémonitoire, ce que serait devenu le monument aux morts de Berlin inauguré en 2005...encore plus loin la porte de Brandebourg, dont l'une des limites est surlignée se profilant en une manière de veine rouge charriant un sang épais et nourricier, palpitant de vie dans un ciel noir d'humus...Cette veine surgie du noir retourne au noir, apportant en son sein une alchimie de vie à venir. Noire la nuit, c'est un monde inversé de celui du créateur, qui séparant les ténèbres de la lumière fit un jour puis une nuit....Ici la terre est chaire, le ciel est nuit, y passe une veine pour en revenir et la vie surgit alors par l'animal...

1989..année de la chute du mur...Ce mur de honte que j'avais connu comme une fatalité, comme quelque chose qui ne tomberait jamais. Quand on construit un mur c'est pour l'éternité...Enfant on se sent en sécurité chez ses parents, on « rentre à la maison », on « dort à la maison », cette entité supposée protéger le cocon familial de toutes les agressions, et faite de murs...Un mur est irrésistible, dur, destiné à rester à jamais, plus incorruptible que n'importe quoi, un mur est éternel, aussi il n'y avait aucune raison a priori pour que tombe un jour le mur de Berlin... Surtout un mur bâti après une guerre, par des militaires, un mur qui séparait des « perdants » des « gagnants », un mur supposé pour les uns préserver le bien du mal, un mur comme ça protège et sépare, alors c'est forcément pour toujours …

Il y a quelque chose de troublant sur ce tableau, je l'avais évoqué... Peint en 1989 Trémeau ne pouvait pas savoir qu'en 2005 les grues poseraient sur le sol Berlinois ce troublant Mémorial aux Juifs morts pendant cette guerre... Ce monument est composé de 2711 stèles de béton anthracite. Pas de symbolisme particulier dans le nombre selon l'auteur... Pourquoi Trémeau a-t-il dressé au fond de l'enclos de ce Rhinocéros une forêt de pierres cubiques levées ? Vestige de mur mal fagoté ? Le mur était-il vraiment ainsi ?
Pour l 'heure l'animal respire, avance tranquillement sa puissance à la lumière, une odeur forte semble planer autour de lui à la manière d'une aura bestiale...L'alchimie est en route. Non loin de la première roche verdoie un buisson dans ce noir absolu...La veine y court dans la sombre nuit, va-t-elle y puiser la vie, la vie qui traverse finalement tout, le minéral et le végétal pour finir en animal...Ordre d'apparition des choses dans l'univers, lumière et limbes séparées, devenant minéral, le minéral devenant végétal , le végétal produisant l'animal, et moi, suite de cette logique, je deviens homme...

Un trait rouge sombre traversant le minéral porte une force de vie, charriant le sang gras des nourrices bien en chaire, puisant la force des limbes obscures dont il faut taire le nom de la source faute de savoir....Il y a une logique malgré elle qui se cache dans cette toile, dont bien sûr les mots ne diront qu'une partie... il me semble parfois voir dans ce Rhinocéros un démon Empédocléen condamné à parcourir lors des trois prochaines myriades un parcours de purification, la vraie cette fois, celle qui devait nettoyer la race humaine du meurtre afin de retourner vers l'idéal perdu...Nous ne sommes qu'au début des terribles conséquences de ce trop récent événement que fut le génocide...après tout nous parlons encore 2000 ans après sa venue de cet homme qui vint proposer une autre forme d'amour. Nous n'avons pas encore tiré les conclusions de ce cette dernière guerre, les choses arrivent doucement...à pas feutrés.. Ce rhinocéros apporte à loisir la rédemption ou la fin ..son œil sombre ne diffuse qu’imprévision et impossibilité de connaître notre destinée...

Pierre TROTIN
Le dimanche 16 janvier 2011